Biblio : ce document publié dans son intégralité a été sélectionné par le facilitateur de cet hyperdébat. Si vous en contestez certains points ou si vous souhaitez apporter votre contribution, il est préférable de le faire dans le forum attaché au débat en cours sur la traversée des Pyrénées.
I - Description succincte du projet
La section de Collioure (France) à Vilajuïga (Espagne), est le maillon faible de l’important itinéraire ferroviaire international joignant la vallée du Rhône et le Languedoc-Roussillon à Barcelone.
En cherchant à éviter le massif des Albères par le bord de mer, la ligne présente une grande sinuosité avec des courbes de faible rayon qui limite le débit et les vitesses. Elle comporte aussi de nombreux tunnels (9 tunnels
pour une longueur de 4 704 m, rien que du côté français).
Il existe un projet de ligne nouvelle à grande vitesse qui à terme doit unir le réseau TGV français au réseau AVE espagnol, de Nîmes à Barcelone.
Le projet de ligne nouvelle, limitée en première étape de Perpignan à Figueras, permettra de shunter d’abord la section la plus difficile, la plus pénalisante en temps de parcours.
La ligne nouvelle, longue de 48 km, comportera un tunnel bi-tube de 8 500 m sous le col du Perthus.
Les rampes seront limitées à 20 ‰ , mais surtout, l’exploitation sera mixte : TGV et Fret.
II - Un projet incohérent
Le projet Perpignan - Figueras donne l’impression de ne pas savoir choisir.
En voulant concilier des paramètres contradictoires, il aboutit à une ligne inutilement coûteuse, et qui paradoxalement ne satisfera personne, à commencer par le futur exploitant.
Ligne TGV
Ce qui importe, c’est la vitesse, donc le rayon des courbes.
Si le terrain est difficile, le TGV peut s’accommoder de rampes de 35 ‰, ce qui est un atout considérable pour minimiser les ouvrages d’art, en particulier les tunnels.
Ainsi, la première ligne TGV française, entre Paris et Lyon, ne comportait pas un seul tunnel.
Ligne Fret
Les rampes sont l’ennemi des trains de marchandises.
C’est la rançon à payer du contact roue-rail en acier, qui en permettant des records d’économies d’énergie, limite malheureusement aussi l’adhérence des locomotives.
Ligne mixte Fret - TGV : une cohabitation difficile
Une bonne ligne mixte, c’est celle qui cumule les avantages des deux types d’ouvrages précédents, principalement des courbes de grand rayon et des rampes modérées.
Une ligne mixte Fret - TGV est facile a implanter dans la Beauce, pas entre Perpignan et Figueras, région au caractère montagneux prononcé.
La ligne nouvelle Perpignan-Figueras, avec des rampes maximales de 20 ‰, présentera de lourdes sujétions d’exploitation pour les trains de Fret.
Une ligne mixte présente aussi l’inconvénient de faire cohabiter des TGV dont la charge par essieu est limitée à 17 tonnes, avec des trains de Fret dont la charge par essieu atteint 20 tonnes, voire plus, ce qui amène quelques
inconvénients majeurs :
accélération de la dégradation des caractéristiques géométriques de la voie
accélération de la dégradation de l’état des tables de roulement
incompatibilité des valeurs de dévers TGV et Fret
L’ensemble de ces données impose de fait de limiter la vitesse des TGV sur une ligne mixte (par exemple 240 km/h au lieu de 300 km/h).
Au moment du croisement d’un TGV lancé à grande vitesse avec un train de Fret, le souffle peut avoir des conséquences sur certains chargements mal arrimés, ainsi que sur la stabilité de certains wagons. Il est donc
préférable qu’une ligne mixte possède une valeur d’entrevoie plus large que la normale.
Les fortes disparités des conditions de traction entre la partie centrale montagneuse (rampes de 20 ‰) et les deux sections de plaines encadrantes (environ 5 ‰ max), imposeront au Fret :
soit de limiter la charge des trains
soit d’utiliser des renforts en pousse
On peut donc parier que le trafic marchandises empruntant la ligne nouvelle se limitera en fait à quelques trains de conteneurs, d’où une rentabilité incertaine.
Dans ses projections de trafic, RFF admet le "bridage" à un million de tonnes / an (ce qui est dérisoire) du trafic Fret par la ligne nouvelle et le tunnel des Albères.
Autre inconvénient : l’ensemble des locomotives Fret fréquentant la ligne nouvelle devra être munie de la signalisation propre au TGV, la TVM 430.
C’est une sujétion extrêmement coûteuse, qui oblige pratiquement à réserver ces locomotives à un territoire proche de la ligne, pour ne pas équiper un trop grand nombre de locomotives. Ces machines dédiées auront obligatoirement un mauvais roulement mensuel.
III - La situation actuelle du projet
Les gouvernements français et espagnols ont décidé de concéder la gestion de la ligne à une société privée, après un appel d’offre international. Le concessionnaire procéderait au financement et à la construction de la ligne,
mais pas à son exploitation, et se rembourserait sur des péages.
Le groupement franco-espagnol " Euroferro ", composé du français Bouygues et de l’espagnol Dragados-ACS, a été sélectionné le 11 Juillet 2002, mais en réalité, il n’est actuellement que "pressenti". La concession comprenant l’obligation de trouver les fonds nécessaires à la construction de la ligne, il était normal que le contrat définitif n’interviendrait qu’après satisfaction de cette condition.
Apparemment, "Euroferro" a le plus grand mal à trouver l’argent. Ce champion du libéralisme appelle les deux gouvernements "au secours", et verrait maintenant d’un bon oeil l’entrée dans le capital d’une puissance publique, sinon, annonce-t-il, " ... nous serions dans l’obligation de pratiquer des péages dissuasifs ! ".
Il faut croire aussi que les milieux financiers ne sont pas aussi stupides que leurs récents avatars en bourse pourraient le laisser supposer, et qu’ils ont peut-être déjà de sérieux doutes sur la rentabilité du projet.
Plus grave, les deux futurs exploitants de la ligne, la SNCF et la RENFE, annoncent alors conjointement qu’au regard du niveau des futurs péages, elles n’utiliseront pas la ligne Perpignan - Figueras !
Le plus extraordinaire, c’est qu’apparemment les deux gouvernements répondent de manière positive à la demande d’Euroferro, ce qui risque de plonger le projet dans un fameux imbroglio juridique.
En effet, les autres soumissionnaires au projet pourront faire valoir que les conditions de l’appel d’offre ont changé, et que si les deux gouvernements s’entêtaient à maintenir Euroferro à la direction du projet, les règles de
la concurrence seraient faussées.
IV - Comment sortir de cette situation ?
En revenant à plus de raison, et surtout en supprimant le caractère mixte de la ligne nouvelle.
Mais alors, objecterez-vous, comment va-t-on augmenter la rentabilité de la ligne en la limitant exclusivement aux clients du TGV, voire aussi à quelques trains de messagerie ?
Ligne exclusivement TGV
La ligne nouvelle peut alors revenir à des rampes de 35 ‰.
Elle peut se caler en grande partie le long de l’autoroute A 9, et surtout franchir le col du Perthus à l’air libre, voire avec un tunnel de très faible longueur ou une tranchée couverte.
La ville du Boulou est située à 72 m d’altitude. En supposant un viaduc de 20 m de hauteur, nous sommes déjà à 92 m. Avec des rampes de 35 ‰, nous pouvons atteindre l’altitude du col du Perthus (290 m) après 5, 8 km, soit plus qu’il n’en faut.
Depuis la mise en service de la ligne TGV Lyon / Valence / Marseille, les rames TGV sont habituées à grimper des rampes aussi longues. [1]
L’économie du grand tunnel de 8 500 m redonnerait immédiatement des couleurs financières au projet.
Si nous retenons un coût de 250 MF par kilomètre (par analogie avec le tunnel de la Sierra de Guadarrama : 28,5 km pour 1, 082 milliards d’€uro), l’économie se chiffrerait à 2 125 MF ( 324 M€ ) au minimum.
Si nous nous référons au tunnel suisse du Lotschberg, avec un coût de 191 MF par km de tube simple, l’économie se monterait à 3 300 MF ( 495 M€ ), ce qui ramené au coût total annoncé, devient considérable.
Mais peut-être que s’il n’y a plus de tunnel à construire, le projet ne sera plus intéressant aux yeux de certains constructeurs. C’est pourquoi on pourrait aussi envisager de ne plus recourir à des investisseurs privés. [2]
V - QUID DU FRET ?
Avec environ 60 circulations / jour actuellement, ce qui est très peu, dont un certain nombre sera transféré sur la ligne TGV, la ligne ancienne est tout à fait apte à recevoir un trafic Fret important, à condition de procéder à
certains aménagements.
Cette ligne laisse libre actuellement près de 80 sillons chaque jour (avec les méthodes d’exploitation actuelles).
La section difficile est longue de 16 km de Collioure à Port Bou et 14 km de Port Bou à Vilajuïga, soit seulement 30 km en tout. Le profil est tout à fait convenable, et si certaines rampes atteignent 14 ‰, c’est sur des
longueurs très courtes, immédiatement suivies de descentes.
Cette ligne ressemble à s’y méprendre à la traversée de l’Esterel.
Ce qui limite actuellement le débit de la ligne, c’est le changement d’écartement des voies entre la France et l’Espagne, obligeant à de coûteuses et longues opérations de transbordements ou de changements d’essieux dans les chantiers proches de la saturation de Cerbère et Port-Bou.
Il faudrait donc :
équiper les deux voies de la ligne Port Bou-Figueras d’un 3ème rail, voire le plus loin possible vers la banlieue nord de Barcelone, jusqu’à un point restant à déterminer, où pourrait se situer le nouveau chantier des
transbordements résiduels. [3]
équiper la voie RENFE du tunnel des Balitres, entre Cerbère et Port Bou , d’un 3ème rail
équiper les deux voies entre Cerbère et Port Bou du BAL et de la banalisation
remettre à double voie le pont sur la rivière Tech
Il faudrait aussi envisager dans l’avenir de nouvelles méthodes d’exploitation, en particulier pour augmenter le débit :
nouvelle signalisation ERTMS (avant 10 ans) [4]
utilisation de trains longs supérieurs à 750 m (actuellement, il faut encore scinder les trains supérieurs à 400 m) [5]
interpénétration des locomotives espagnoles et françaises (d’où également l’intérêt de "l’interopérabilité" permise par ERTMS)
report des faisceaux de relais de part et d’autre de la frontière, en zones de plaine
Cette manière de transformer le projet générerait de très grosses économies :
suppression du grand tunnel de 8 500 m sous le col du Perthus
très forte diminution de l’activité de transbordement des gares de Cerbère et Port Bou
très forte diminution des voies larges dans ces deux gares, avec simplification du plan de voies
unification des conditions de traction et de la longueur des trains Fret de part et d’autre de la frontière
préservation des qualités de la voie du TGV
diminution très importante des temps de parcours des trains Fret
suppression de l’équipement des locomotives Fret du système de signalisation spécifique au TGV (TVM 430)
suppression d’une partie des très gros frais de raccordement de la LGV à la ligne Perpignan - Villefranche-de-Conflent, puisque les trains de fret n’y passeraient plus
En voyageurs, il n’existerait plus que des TER de part et d’autre de la frontière sur la ligne ancienne, plus quelques trains de nuit, l’essentiel du trafic international étant basculé sur le TGV.
Même ainsi, le Fret ferroviaire ne pourra pas se développer de manière totalement satisfaisante, car la pénétration de la voie normale à l’intérieur de l’Espagne sera encore trop faible.
Pourtant, nous sommes prêts à affirmer que les conditions nouvelles ainsi
créées seront meilleures pour le Fret que celles du projet actuel comportant
des rampes de 20 ‰, tout en exigeant un investissement largement inférieur.
V - L’avenir du Fret ferroviaire entre l’Espagne et le reste de l’Europe
Le chemin de fer assure actuellement une part infime des flux de marchandises à la frontière espagnole :
le trafic routier représente plus de 95 % du total rail / route
pour plus de 90 %, il est concentré sur les 2 passages proches du bord de mer
- Hendaye - Biriatou à l’ouest
- Le Perthus à l’est
à parties égales, le trafic se répartit entre échanges avec la France et transit trans-européen
le volume d’échanges des 2 régions frontalières reste faible : 12 % au total
Le développement du Fret ferroviaire entre l’Espagne et le reste de l’Europe est lié essentiellement à la progression de la voie normale UIC à l’intérieur de la péninsule ibérique.
On y arrivera seulement selon deux méthodes :
franchissement par la voie normale du verrou de Barcelone, surtout vers la direction de Valence, lié à l’arrivée du TGV dans cette ville [6]
construction du grand tunnel de la Traversée centrale des Pyrénées (44 km), sous le massif du Vignemale, qui permettra l’arrivée d’une voie normale performante à Saragosse, véritable clef de voûte des transports espagnols
De plus, seule la région de Saragosse permettrait d’accéder à un ensemble d’opportunités exceptionnelles pour prolonger encore la voie UIC à l’intérieur du pays. [7]
L’accès par Hendaye ne sera jamais vraiment performant pour le Fret, malgré la construction future du fameux "Y basque", car il faut encore franchir la chaîne Cantabrique en Espagne, avec une rude montée à 807 m d’altitude en rampes de 20 ‰ + le long détour par Valladolid pour éviter un col à 1200 m sur l’itinéraire direct Burgos - Madrid.
La réouverture de la ligne Pau-Canfranc - que nous appelons de nos voeux parce qu’elle n’est pas très chère - ne peut constituer qu’une solution transitoire d’attente de la Traversée centrale. [8]
Elle sera utilisable surtout pour le sens Espagne - France (trains chargés dans le sens de la descente).
Pour débattre :
Traversée des Pyrénées : Comment accroître la part du rail ? Où faire passer les trains de fret ?
- Réseau RENFE
Messages
30 décembre 2003, 17:39, par daniel menvielle
Je suis entièremment d’accord avec la teneur de vos propos.
Je souhaiterai avoir simplement votre avis sur le dernier CIADT et plus particulièrement sur les éléments retenus pour la Traversée Centrale des Pyrénées et pour la réouverture de Pau Canfranc.
Merci, à bientôt.
Daniel MENVIELLE
12 janvier 2004, 11:27, par Serge - Ivan RADETZKY
BONJOUR
Beaucoup de personnes habitant le long de la voie sncf perpignan port bou sont heureux de trouver une alternative aux passages de + en + fréquents de trains de frets sur cette ligne.
En effet,les trains qui emprunteront la ligne tgv ne causeront plus les nuisances sonores constatées a chaque passage de trains fret.
Il faut donc se raisonner et se réjouir du commencement des travaux du tunnel ce premier trimetre 2004.
Salutations
SErge-Ivan RADETZKY
5 août 2004, 09:38, par jean louis adore cette région
Bonjour
je suis d accord avec les propos
une question
quelle est la route traçée ce jour pour cette construction
merci
et bonne réception
JL Heroux
14 novembre 2007, 09:14, par Keuronde
J’ai été surpris de lire qu’il serait possible de poser un troisième rail pour avoir des train qui puissent passer du réseau français au réseau espagnol. Je comprends le principe sur une voie seule et isolée, quoique pour pouvoir poser ce troisième rail et garantir l’écartement des rails, il semble indispensable de changer les traverses. Ceci semble être une opération coûteuse, non ? L’autre point qui me semble douteux avec ce troisième rail est le franchissement des appareils de voie (principalement les aiguillages).
La pose du troisième rail a-t-elle vraiment été envisagée ?