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Cannabis : les Pays-Bas ont-ils fait marche arrière sur les coffee-shops ?

lundi 30 décembre 2013

Les adversaires de la dépénalisation du cannabis en France brandissent souvent l’argument que les pays qui ont assoupli leur législation s’en mordent les doigts et font machine arrière. Ils citent l’exemple des Pays-Bas qui seraient en train de fermer leurs fameux coffee-shops. Qu’en est-il exactement ?

En résumé :
Aux Pays-Bas, personne n’est satisfait de la situation actuelle. Ni les partis situés à droite de l’échiquier politique qui surfent sur la vague sécuritaire et veulent fermer les coffee-shops ou à tout le moins mettre un frein au tourisme cannabique qui cause des nuisances dans les zones frontalières. Ni la majorité de l’opinion publique, soutenue par les partis de gauche, qui souhaite au contraire légaliser l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement pour évincer les mafias de la production et la distribution. La récente tentative d’instituer une « carte cannabis » pour interdire l’accès des coffe-shops aux non résidents a échoué. Seules quelques municipalités frontalières continuent à bannir les touristes étrangers des coffee-shops. A l’opposé, de plus en plus de municipalités font pression sur le gouvernement pour mettre en place des formes légales d’approvisionnement en cannabis.

Un coffee-shop à Amsterdam
Crédit photo budgetplaces.com

La vente libre de cannabis dans les coffee-shops n’est pas inscrite dans la loi néerlandaise. C’est une forme de « tolérance » officialisée par des circulaires du ministère public, qui vise à séparer le marché des drogues douces de celui des drogues dures, afin d’éviter que les usagers des premières n’entrent en contact avec le milieu des secondes.

La réglementation des coffee-shops a évolué depuis 1976

Depuis l’ouverture des premiers coffee-shops en 1976, il y a eu un certain nombre d’ajustements destinés à mieux contrôler l’offre de cannabis, sans jamais remettre en cause le le principe même des coffee-shops :
- en 1996, la quantité maximale autorisée à la vente dans les coffee-shops est passée de 30 à 5 g par transaction et par personne.
- en 1999, la loi « Damoclès » a donné aux maires le pouvoir de fermer les coffee-shops au motif de nuisances ou d’infraction à la loi sur l’opium.
- en 2011, le gouvernement a fait part de son projet de limiter la teneur en THC du cannabis vendu légalement à 15%. Mais cette mesure est restée dans les cartons, car de nombreux experts la jugent inutile et impossible à appliquer. D’autre part, les effets d’une forte teneur en THC sont mal documentés et controversés.
- en 2012, pour lutter contre les nuisances des « touristes » allemands, belges et français de plus en plus nombreux à s’approvisionner dans les zones frontalières, le gouvernement a institué un « wiet pass » (carte cannabis). Cette mesure était également destinée à répondre aux pressions des pays d’origine de ces « touristes » dont la législation est plus stricte.

Ce qui était prévu :

Crédit photo LachieB1


- Limitation de l’accès aux coffee-shops par l’institution d’une carte cannabis réservée aux majeurs résidant aux Pays-Bas et d’un registre consultable par les autorités. Maximum de 2000 membres par coffee-shop.
- Application aux zones frontalières le 1er mai 2012 et généralisation à l’ensemble des Pays-Bas au 1er janvier 2013.

Ce qui s’est passé en 2012 :

- La mesure a été mise en place le 1er mai dans un certain nombre de villes frontalières comme Maastricht ou Breda.
- Le tourisme cannabique a reculé, mais très vite les dealers ont réoccupé le terrain pour fournir les clients étrangers qui continuaient à venir et les clients locaux qui refusaient d’être fichés. Et les nuisances, loin de disparaître, ont changé de nature : harcèlement par les dealers, drogues dures, vente aux mineurs, règlements de compte.
- Les propriétaires de coffee-shops se sont opposés aux mesures qui les frappaient. Certains ont fermé, en guise de protestation ou par manque de clients, d’autres ont refusé d’appliquer la loi.
- Un sondage réalisé le 16 mai a montré que 61% des Néerlandais étaient opposés au « wiet pass ».
- Le maire d’Amsterdam, suivi par ceux d’autres grandes villes, s’est déclaré opposé à la généralisation du « wiet pass », arguant qu’un tiers des touristes s’intéressaient au cannabis, sans causer de troubles majeurs.
- Suite à des élections anticipées, le gouvernement qui avait institué le « wiet pass » est tombé en septembre 2012.

Ce qui subsiste en 2013 :

- La « carte cannabis » a été abandonnée, mais les clients des coffee-shops doivent justifier qu’ils résident aux Pays-Bas.
- Les municipalités sont libres de décider de la meilleure politique à adopter, y compris vis-à-vis des étrangers. Amsterdam et plusieurs grandes villes ont décidé de ne pas leur interdire l’accès des coffee shops, car ils voient plus d’inconvénients que d’avantages à le faire. La loi est surtout appliquée dans le sud du pays.
- A Maastricht, qui a décidé de faire appliquer la loi, des coffee-shops continuent de vendre aux étrangers. Ils ont été attaqués en justice, qui ne leur a pas donné tort. Le ministère public a fait appel.


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En rouge, les coffee-shops fermés aux touristes non-résidents aux Pays-Bas.

Les coffee-shops dans une impasse ?

Après s’être déclarés opposés au « wiet pass » à 61%, un sondage réalisé en août 2013 a montré que les Néerlandais étaient favorables à une légalisation du cannabis (54% pour, 38% contre). Ils veulent solutionner le problème de « la porte de derrière », qui fait qu’un coffee-shop peut ouvrir sa « porte de devant » pour vendre du cannabis en toute légalité, mais doit utiliser des filières clandestines pour s’approvisionner, littéralement, par derrière. Ils veulent sortir de cette situation absurde qui fait prospérer les mafias. Celles-ci surfent en effet sur un marché florissant et multiplient la « culture indoor » et les « fermes à cannabis », aux Pays-Bas et en Belgique.
Malgré un changement de coalition gouvernementale, le ministre de la justice, Ivo Opstelten, à l’origine de la loi de 2012, est toujours en place. Soutenu par une majorité du parlement, il n’est pas enclin à favoriser les initiatives de grandes villes comme Utrecht ou Leyde qui voudraient obtenir des exemptions pour permettre à des Cannabis social clubs d’assurer la culture et la distribution de cannabis. Au total 18 municipalités ont annoncé leur intention de mener des expériences, en invoquant la possibilité offerte par les conventions internationales sur les drogues de mener des expérimentations scientifiques. Mais il est peu probable que cet argument puisse être retenu pour la fourniture de cannabis à usage récréatif.
Les coffee shops sont donc pris en tenaille entre le gouvernement qui leur mène la vie dure et les municipalités soutenues par une majorité de l’opinion qui souhaitent légaliser l’ensemble de la filière pour réduire l’emprise du crime organisé.
Alors, les Pays-Bas ont-ils fait marche arrière ? La réponse est clairement non. L’existence même des coffee-shops n’a jamais été remise en cause, même si les restrictions apportées à leur activité ne sont sans doute pas sans arrière-pensées. La réponse pourrait même être au contraire que les Hollandais veulent majoritairement aller de l’avant en légalisant l’amont du business du cannabis, comme est en train de le faire l’Uruguay.

Sources :
- OFDT : Les coffee-shops aux Pays-Bas : la tolérance à la néerlandaise
- Transnational institute : The Dutch 2012 election result and the coffeeshops
- Transnational institute : Cannabis pass abolished ? Not really
- Transnational institute : Majority of the Dutch favour cannabis legalisation


Le 31 janvier 2014, 8 des 10 plus grandes villes des Pays-Bas ont signé un manifeste intitulé Joint regulation appelant à la création d’un système national régulé de culture du cannabis. L’objectif est de mettre en place un marché légal du cannabis, d’améliorer la qualité des produits et de mettre en place des normes de sécurité (Selon le manifeste, un quart des incendies dans les zones urbaines des Pays-Bas sont dus à des problèmes électriques liés à l’éclairage des plantations clandestines de cannabis !).
Lire aussi : Joint Regulation : working together for a cannabis policy that is fit for purpose