Depuis les années 1970, à la suite du best-seller de Raymond Moody "La vie après la vie", des milliers de personnes témoignent d’un vécu particulièrement imagé : dans une situation de mort imminente (notamment en cours de réanimation lors d’un arrêt cardiaque et sous anesthésie générale) ces expérienceurs auraient quitté leur corps, perçu l’intervention médicale puis seraient passé à travers un « tunnel », menant à la vision mystique d’une intense lumière émanant un amour inconditionnel. Au début des années 1980, une enquête statistique révélait que 8 millions d’américains auraient vécus une NDE.
Imagination ou phénomène réel ?
Désormais ce sont des équipes de médecins réanimateurs qui se penchent sur un phénomène considéré comme réel. The Lancet (2001 ; 358 : 2039-45), une des plus prestigieuse revue médicale, a publié un article de recherches du Professeur Van Lommel et coll. sur les NDE (Near-death experience in survivors of cardiac arrest : a prospective study in the Netherlands). Le Monde (19.12.2001), sous la plume de J.Y. Nau, a rendu compte de ces recherches.
Il existe de par le monde un certain nombre de témoignages issus d’aires culturelles différentes, et ceux-ci ont été receuillis par des professionnels de diverses disciplines, permettant de réunir l’amorce d’un véritable corpus de la NDE. A ce jour, Sam Parnia et col. évaluent à environ 750 le nombre de cas étudiés comportant une phase de « sortie hors du corps » (Resuscitation 48, - 2001- , 149-156).
Des psychologues ont interviewé des "expérienceurs", et des pédiatres se sont aussi intéressés au récit-type de la NDE, tout comme des anthropologues (Sarah-Mercier, L.V. Thomas, E. Morin), des psychiatres et des infirmiers. On dispose donc de recueil des données,
premières statistiques,
recoupement par différentes sources,
suppression des personnes perturbées ou "douteuses" des groupes de témoins…
Est-on bien avancé ? Certes, un véritable phénomène caractéristique correspondant à la description populaire des NDE existe. Mais comment appréhender rationnellement des données qui véhiculent tant d’émotions et de croyances ?
Les NDE : une » approche de la mort » ?
Déjà, n’est-on pas enfermé dans une terminologie trompeuse ? Le nom NDE peut-il être accepté ? "Near death Experience", expériences aux frontières de la mort ou EMI - expériences de mort imminente - évoquent toutes une image spatiale de proximité avec la mort. Or, personne n’est revenu de la mort ; les NDE concernent des personnes vivantes, qui racontent après-coup ce qui leur semble des souvenirs directs de leur coma. A aucun moment il n’y a eu de mort ; la "proximité avec la mort" n’est qu’une image, car entre un vivant et un mort on considère une discontinuité absolue. Qu’en penser dans le domaine de la rationalité ?
Quelles inconnues scientifiques ?
Lorsque les premiers médecins entendent parler de ce phénomène par un best-seller à sensation, La vie après la vie, ils restent très sceptiques. Moody y relate quelques témoignages anonymes, particulièrement extraordinnaires, et il tire de ce matériau ténu une sorte de modèle généralisable. Voilà une expérience bouleversant la vie des malades qu’elle touche, et dont aucun soignant n’aurait entendu parler ? Seul Moody aurait découvert ce phénomène, passé inaperçu aux yeux des scientifiques ? La pilule est un peu grosse, et les quelques récits "excentriques" de La vie après la vie ne semblent pas peser bien lourd dans la balance de la science.
Néanmoins, dès la fin des années 70, quelques enquêtes plus systématisées sont lancées. Le cardiologue Michael Sabom et l’assistante sociale Sarah Kreutzinger vont sur le terrain et receuillent 116 entretiens avec des rescapés d’un ou plusieurs épisodes de réanimation (Sabom, 1982). Les témoignages confirment les premiers récits et se recoupent.
Certes, on peut penser que la NDE sera expliquée et intégrée à la science standard d’ici quelques décennies. Alors, y a-t-il vraiment un enjeu philosophique ? Les récits des expérienceurs font ressortir un élément intéressant quant à la problématique "corps/esprit", et qui rentre en conflit avec l’option matérialiste/physicaliste. Il s’agit de l’expérience de « sortie hors du corps », appelée aussi « vision autoscopique » (anglais OBE Out of Body Experience), séquence maintes fois rapportée où le sujet croit se voir de l’extérieur, comme si sa conscience devenait autonome et pouvait s’envoler en l’air ! Ce vécu revient dans la plupart des témoignages et s’accompagne de sensations précises : légéreté, clarté visuelle, certitude "qu’on est bien là" et qu’il ne s’agit pas d’un rêve. Ici on se trouve en pleine science-fiction : voilà une personne dont le cœur est arrêté depuis plusieurs minutes, avec un électroencéphalogramme plat (ou totalement irrégulier), dont les fonctions vitales se désorganisent brutalement, et qui prétend être apte à penser sereinement, observer le monde qui l’entoure d’un point de vue précis au plafond de la salle d’opération.
Extrait d’un ouvrage inédit d’E.J. Duits
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