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Débattre avec méthode

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Pourquoi faut-il débattre ?

samedi 26 juillet 2003, par Emmanuel-Juste DUITS

Les motivations du débat méthodique

1. Eprouver ses options fondamentales

Comment puis-je savoir si mes options fondamentales sont bonnes ou mauvaises ? N’est-ce pas en les confrontant aux options radicalement différentes, et en allant si possible jusqu’au bout de la discussion ? Toute personne qui accomplit un choix fondamental ne peut échapper à une telle question. Si je suis croyant, je dois me confronter à l’athéisme, si je suis athée je suis sommé de me demander en conscience si Dieu existe ; si je suis marxiste, je dois rencontrer les anti-communistes et leurs critiques, et si je suis capitaliste je ne peux me dispenser de la remise en cause des écologistes… Et ainsi de suite, pour les écoles de psychanalyse ou de philosophie, en politique, etc.

Sans une telle confrontation et son risque, je manque à mes devoirs envers moi-même, je me contente d’arrêter mes choix, parfois même les plus importants, simplement pour échapper au doute et à la recherche. Mes décisions intellectuelles relèvent alors du goût, de l’opinion et de la psychologie.

2. Dépasser la violence…

Du point de vue de la collectivité, le débat est un moyen de prévention de la violence. On ne fera pas croire, en ces temps d’agressions racistes, de mosquées taggées ou de synagogues incendiées, que les appels à la tolérance et aux bons sentiments vagues suffiront. A terme, les communautés pourront-elles continuer à coexister pacifiquement, sans que de véritables dialogues et débats aient lieu quant à leurs valeurs fondamentales ? Suffira-t-il de dire aux athées, juifs, musulmans et chrétiens qu’ils doivent s’aimer et s’accepter pour qu’ils le fassent ?

Nous n’avons plus le choix.
Soit nous laisserons les groupes juxtaposés les uns à côté des autres, s’ignorant avec « tolérance » - en fait hautaine indifférence ou silencieux mépris - soit au contraire nous tenterons de les mettre en discussion : poser les divergences à plat, explorer ce qui fait question, laisser éclater le conflit - sur le terrain intellectuel et théorique - de façon à le prévenir sur le terrain - tout court ! Les philosophes antiques et ceux de la tradition rationnelle et libérale avaient suffisamment confiance en la raison (également partagée par les citoyens et fondant en somme la citoyenneté) pour supposer que même avec le religieux rétrograde, le politique immoral, le fasciste en herbe ou confirmé, un débat était possible - et souhaitable ! « Le philosophe parie que l’exigence de la parole, la nécessité du discours sont capables de supprimer, ou au moins, de réduire et de canaliser la réalité de la violence. » [1]

3. … par la création d’un espace public et de valeurs communes

Sans cet effort pour la création de valeurs communes, nous assisterons à la formation de chapelles et de communautés closes sur elles-mêmes, sourdement hostiles. Il n’est pas certain qu’à partir d’un certain seuil de populations, plusieurs groupes n’entreront pas en conflit ouvert les uns avec les autres, ou avec la République elle-même.

Seuls de vrais débats permettent de changer mon regard sur l’autre, de considérer sa différence non négativement, comme un danger dont il faut se protéger, mais positivement, comme une richesse qui m’oblige à la cure de jouvence d’une remise en lice de mes propres convictions, non pour les déposer lâchement, mais pour les tester sportivement. « (Les citoyens) apprennent d’une part à confronter leurs visions à celles
d’autres individus et d’autres groupes. S’ensuit un processus d’
apprentissage conflictuel et incertain au terme duquel, dans les meilleurs
des cas, quelque chose comme une volonté commune, universalisable en
principe donc, et représentant la forme réfléchie - rationnelle - de l’
autonomie, finit par se dégager : selon une intuition qui marque également l
’oeuvre d’Hannah Arendt, les hommes ne peuvent devenir acteurs de leur
histoire qu’en passant par le medium fragile de la parole publique. Dans les
meilleurs cas encore, la réalisation de cette volonté autonome ainsi
élaborée entraîne une sorte de spirale vertueuse qui, selon toute
vraisemblance, est susceptible de conduire graduellement à une refonte de l’
organisation sociale dans un sens, là aussi, beaucoup plus favorable au
libre épanouissement des capacités humaines et à l’auto-détermination. »
 [2]

4. Vers une démocratie participative

« L’idée d’une société adulte et responsable, capable de se comprendre et de
se gouverner elle-même par l’organisation de discussions au cours desquelles
se produisent des processus d’apprentissage - cette idée est donc non
seulement méconnue mais surtout exactement renversée lorsque triomphe l’idée
que l’opinion publique est purement et simplement ce que mesurent les
sondages. (.) Ainsi la pratique du débat public semble n’avoir jamais eu
tant de succès qu’à l’époque contemporaine (.) En fait, argumente (le philosophe) Habermas,
notre époque est plutôt celle de la pseudo-discussion, de la
fonctionnarisation neutralisante du débat » [3].

De véritables débats, lorsqu’ils concerneront une question socio-politique, pourront être un outil aux mains des électeurs et orienter certains choix importants. Du moins, dans une démocratie qui se respecte - mais est-ce le cas de la France ? -, de telles délibérations entre citoyens et spécialistes devraient influer sur les décisions. Des questions comme la politique énergétique ou celle du transport, l’interdiction ou la légalisation des OGM ou des drogues douces, les retraites, etc., pourraient être exposées lors de débats méthodiques - les éventuelles conclusions qui se dégageraient étant transmises à qui de droit et influençant le vote des citoyens lors des grandes consultations - ou de référendums. A terme, le débat méthodique est une condition essentielle du fonctionnement d’une démocratie éclairée. Il va dans le sens d’une participation de toutes et tous non seulement à la discussion, mais aussi à la décision. Tout partisan de la démocratie directe devrait s’intéresser à notre projet.

La délibération collective : utopie ou possibilité ?

Une fois que la motivation s’affirme, les autres problèmes sont d’un ordre technique, en principe solutionnables par un minimum de réflexion et d’organisation. Il s’agit de trouver des lieux appropriés et d’inventer une méthode de discussion, susceptibles d’être admise par de nombreux protagonistes.

Comment mettre en contact les différents acteurs et organiser des confrontations constructives sur les grands choix de société ? Quel espace proposer, qui soit accessible à tous - et non aux seuls présents dans une salle, par exemple, ni réservé aux experts patentés et aux journalistes ?

Comment mettre en relation ces personnes d’opinions différentes ? Et selon quelle méthode avancer ?

Internet est à cet égard un média nouveau qui peut apporter une aide précieuse par ses caractéristiques propres.
- C’est un media écrit :
La pensée est ainsi exprimée d’une manière moins spontanée, plus précise et rigoureuse que par oral.
- C’est un media particulièrement « froid » :
Non seulement les intervenants sont sans visage ni voix, mais en plus ils peuvent être complètement anonymes.
- C’est un media qui transcende l’espace-temps :
Le net est mondial, sans horaire ni limite théorique de conservation. C’est bien évidemment le seul média ayant ce caractère « divin », d’où l’euphorie de la « bulle internet ».

Dans un débat sur internet seule compte donc la qualité des idées exprimées.
Comme tout media il a les défauts de ses qualités : la froideur d’internet peut décourager l’envie de dialoguer, l’art de savoir écrire n’est pas donné à tous, des écrits qui s’amassent sans ordre deviennent vite illisibles quelles que soient leurs qualités intrinsèques etc….
Il faut donc que les débats sur internet puissent être organisés selon des règles méthodiques rigoureuses auxquelles tous les participants acceptent de se plier. Tel est le but de notre projet.

Le débat méthodique au fondement de la citoyenneté.

On ne doit surtout pas imaginer ce genre d’initiative sur le modèle des forums qui prolifèrent sur le web, et consistent en un empilement désorganisé de messages, où chacun s’exprime dans une joyeuse anarchie et où le bruit prime sur l’information.

Le socle commun aux créateurs [4] du site www.hyperdebat.net constitue une déclaration d’intention. Le besoin auquel il répond va prendre la figure de l’urgence.

« L’idée de notre club de débat méthodique continu part d’un constat quelque peu paradoxal. Alors que rien n’est plus commun que le fait de débattre, nous n’avons trouvé aucune méthode permettant :
- de dégager les grandes lignes d’un débat, ses différentes options et leurs logiques.
- d’éviter les redites
- de s’assurer que tout argument capable de faire avancer le débat est pris en compte, même s’il est ultra-minoritaire ou particulièrement contesté.
- de poursuivre un débat dans le temps sans avoir à le reprendre à chaque fois dès le début.

Or Internet est un outil qui offre des possibilités nouvelles à cet égard :
- conservation des données
- possibilité illimitée d’interventions dans le temps et l’espace
- possibilité de prendre connaissance de l’état d’avancement d’un problème et de ses principales articulations pour nourrir sa réflexion avant d’apporter sa contribution.

Pour répondre à ces besoins, nous nous proposons de mettre au point un outil de débat rigoureux, utilisant internet comme support non exclusif que nous appellerons l’hyperdébat. Il s’agit d’une méthode interactive, permettant d’organiser en continu une grande diversité d’informations (données de base, arguments etc.) en cherchant à conjuguer exhaustivité et bonne lisibilité.

L’hyperdébat est ouvert à toutes les opinions, dans le cadre des lois en vigueur, y compris à la discussion desdites lois.
Il implique une « netiquette » minimale : pas d’attaques personnelles….

Quand il aura fait les preuves de son efficacité l’hyperdébat aura un champ d’application extrêmement vaste : débats généraux - débats techniques ou d’aménagement du territoire, débats préparatoires à toute prise de décision… »

Il est évident qu’une réflexion de fond, dépassant le cadre de cet article, doit s’effectuer pour aboutir à la création d’espaces de débats méthodiques et ouverts. Cette réflexion implique de définir une méthode et d’expérimenter à petite échelle de tels débats, puis, après cette période de « rodage », de généraliser l’expérience à plus grande échelle. Je convie toutes personnes intéressées par ce type d’initiative à nous contacter pour faire avancer des Agoras du XXIème siècle.


[1P.55, in F. Châtelet, Hegel

[2Page 37, Stéphane Haber, J. Habermas, une introduction, Pocket/La
Découverte, coll. Agora, 2001

[3in S. Haber, op. cit., p. 36

[4Eric Brucker, Eric Lombard, Emmanuel-Juste Duits