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Débat public et concertation : l’illusion démocratique ? (Compte-rendu du colloque de l’AFCAP)

dimanche 24 août 2003

Ce compte-rendu n’en est pas un. Il est volontairement sélectif et présente quelques extraits ou résumés des interventions les plus pertinentes, pour notre recherche, du colloque de l’AFCAP du 12 septembre 2002. A noter que l’AFCAP est l’Association Française des Conseils en Affaires Publiques, c’est à dire, en langage commun, des conseils en lobbying.

Les attentes des citoyens (Jean de LEGGE)

Résultats d’un sondage réalisé pour le colloque :

1. Sur l’équipement concret (tracé routier, aménagement d’un quartier, implantation d’une usine), estimez-vous que les services publics vous consultent et écoutent votre avis ?

Oui suffisamment : 12%
Non, pas suffisamment : 86%
Ne se prononcent pas : 2%

Commentaires :
Ne pas se sentir suffisamment consulté ou écouté, c’est s’estimer ne pas être suffisamment reconnu et respecté. Cette notion de respect, assez peu utilisée est pourtant très riche, car c’est la première revendication face au pouvoir.
Les citoyens sont les premiers utilisateurs des équipements et des aménagements. De ce point de vue, ils ont une légitimité à être consultés et à commenter les réalisations. Cette attente se nourrit d’un manque de confiance sur la rationalité des décisions.

2. Vous personnellement, êtes-vous prêts à participer à une procédure de consultation qui concernerait un projet d’équipement ?

Oui : 68%
Non : 31%
Ne se prononcent pas : 1%

Commentaire :
On note 1/3 d’abstentionnistes que l’on retrouve dans toutes les enquêtes et les élections.
Les raisons de l’abstention :
- approbation passive ("ça ne va pas si mal ")
- délégation de compétences ("je n’y connais rien")
- non-perception des enjeux programmatiques ("il n’y a pas de raison de voter, ça ne changerait rien")
- refus de rentrer dans le jeu de la compétition politique ("ça ne m’intéresse pas du tout de les entendre se vanter ou se débiner")
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Les conférences de citoyens : l’agora du 21ème siècle ? (Roland SCHAER)

Il est passé commande à des citoyens profanes des recommandations sur un sujet lié à une innovation scientifique ou technique et que la représentation nationale s’engage à prendre en compte.

En France ont eu lieu 3 conférences de citoyens :
- 1998, sur les OGM, organisé par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques
- 2001, sur l’ESB (vache folle), organisé par la Cité des Sciences
- 2002, sur le réchauffement climatique, organisé également par la Cité des Sciences.

Déroulement de cette dernière conférence : 15 citoyens volontaires sélectionnés par un organisme de sondage, formés pendant 2 week-ends, rencontrent experts et parties prenantes et organisent une séance publique, au terme de laquelle ils émettent des recommandations.

A noter : Procédure lourde, coûteuse (entre 100 et 150 000 euros pour un an de travail)

Enseignements :
- Prise de conscience par les citoyens sélectionnés de la complexité des dossiers, mais, de par la mission qui leur est confiée, motivation et responsabilisation pour dépasser la superficialité de l’information et des débats de la vie quotidienne.
- Bien qu’elle se positionnent comme un outil de démocratie participative, la légitimité donnée aux conférences de citoyens par leur organisation rigoureuse risque de les faire assimiler à une forme de démocratie directe en concurrence avec la démocratie représentative. Il faut donc qu’en amont, dès l’initiative, le politique dise ce qu’il entend faire des recommandations issues de la conférence.
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Les différents modes de concertation (Daniel BOY)

"Le mot de débat public est devenu un mot très courant du vocabulaire politique et je me demande si l’on n’arrive pas à une situation où, pour enterrer un problème, on organise un débat public (comme autrefois pour enterrer un problème, on créait une commission)"

L’auteur montre comment en France les structures de concertation ont évolué des commissions où la société est d’abord représentée de façon corporatiste (syndicats), puis plus largement par des associations, pour arriver au débat public type CNDP qui est ouvert à tous les citoyens.

Critères de classement des initiatives de délibération ou de recueil de l’opinion (sondages) :
- niveau national/niveau local
- public/privé
- délibération (l’opinion va se former par l’interaction de l’ensemble des individus) /agrégation ou sondage (artefact social, qui est agrégation d’opinions individuelles)

Au niveau national, on distingue le mode délibératif direct du mode délibératif indirect :
- Le débat public, institutionnalisé en France par la CNDP (Commission Nationale du Débat Public)
- Les conférences de citoyen, inspirées des conférences de consensus danoises.
Les deux modèles sont complètement différents. Ils posent d’ailleurs des problèmes de légitimité, de coût et de fonctionnement très différents.
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Internet : vers une e-démocratie ? (Thierry VEDEL)

Les limites des forums de discussion

- Comportements perturbateurs :
l’anonymat des participants, qui a une fonction de libération de la parole, a aussi pour inconvénient de favoriser les comportements agressifs ou perturbateurs. Les villes qui se sont lancées dans des forums de discussion sur les affaires locales ont beaucoup de difficultés à résoudre cette question car si l’on oblige les participants à s’inscrire, on assiste très souvent à une reproduction de la parole institutionnelle ou à une domination des groupes déjà institués.
- Représentativité des participants

  • les forums de discussion de nature politique ou se rattachant à la vie politique de la cité se caractérisent par une forte homogénéité idéologique
  • une minorité de participants est à l’origine de la majorité des messages

Quelles solutions pour améliorer le fonctionnement des forums de discussion ?

- Filtrer les messages :
Une solution s’impose quasiment partout : pour faire fonctionner un forum, il faut le modérer et poser des règles du jeu (par exemple limiter le nombre de messages par participant et par jour).
- Classer les messages
Les logiciels doivent s’améliorer afin de faciliter de véritables délibérations. Par exemple, des logiciels basés sur des systèmes experts de reconnaissance de mots peuvent mettre en évidence les fils des discussions.
- Hiérachiser les messages,
en faisant voter les participants sur les messages qui leur paraissent les plus pertinents ou en en fonction de leur consultation
- Offrir des liens vers des documents en support du débat
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Le débat public à l’épreuve du terrain : les expériences françaises


Table ronde avec :
Eric DOLIGE, Sénateur
Jean-Marc DOMANGE, Directeur Général, Ciments CALCIA
Vincent JACQUES le SEIGNEUR, Directeur de l’IFEN
Jean-Paul TRICHET, Vice-Président de l’Association pour le respect du site du Mont-Blanc
Patrick BRAOUEZEC, Maire de Saint-Denis

Jean-Marc DOMANGE, Directeur Général, Ciments CALCIA
Nous avons fait le constat d’un besoin de concertation avec les riverains, les collectivités locales, les associations et un certain nombre d’autres institutions dans le territoire duquel nous sommes établis

Vincent JACQUES le SEIGNEUR, Directeur de l’IFEN
"La consultation des élus doit précéder le débat public afin de l’éclairer. Le président de la CNDP propose une démarche en trois temps :
- Une phase d’élucidation du dossier entre experts, et représentants de la société civile dont les élus au premier chef
- Une phase de questionnement via des tables-rondes, des conférences de citoyens, des enquêtes participatives afin d’éviter une confrontation impossible entre profanes et experts
- Enfin, le débat public qui devrait permettre de mettre en exergue les marges de manœuvre même s’il ne faut pas confondre le débat public et la négociation ou médiation qui peut en découler (comme le souligne Jean-Marc Dziedzicki : " le débat est fondé sur un échange d’arguments et sa finalité est de convaincre l’autre tandis que la négociation n’a pas pour but de dire qui a raison, mais elle est essentiellement orientée vers la décision ")."

Patrick BRAOUEZEC, Maire de Saint-Denis
"Le résultat de ces pratiques de démocratie participative est aujourd’hui assez intéressant : on s’aperçoit que les citoyens nous interpellent et nous font bouger.
(…)
Qui est vraiment porteur de l’intérêt général ? Est-ce que le fait que l’élu ait ce statut, dans le processus de démocratie représentative, fait de lui le seul défenseur de l’intérêt général ? Je n’en suis pas sûr. Dans ces pratiques de démocratie participative, il ne faut pas tomber dans la démagogie populiste (…) Ce n’est pas parce que certains sont porteurs de revendications fortes qu’ils ont forcément raison. Il faut donc trouver un équilibre entre intérêt général et démagogie populiste.
(…)
Il n’est pas intéressant de connaître l’opinion des gens à un moment donné sur une question, mais de connaître la pensée des gens, et les mettre en situation de penser le problème auquel on est confronté. C’est pour cela que je me méfie énormément des sondages d’opinion. Si on ne met pas les gens en situation de réflexion, de pensée et de pensée contradictoire, on peut tomber dans l’illusion démocratique. L’important est de créer partout les conditions pour mettre les gens en situation de penser, d’anticiper et de se projeter dans l’avenir."
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Les perspectives


Table ronde avec :
Pierre ZEMOR, Conseiller d’Etat, ancien Président de la Commission Nationale du Débat Public
Nicolas BOUR, Vice-Président de l’Association contre l’aéroport du Soissonnais et du Tardennois
Jacques de NAUROIS, Directeur des Relations Institutionnelles, TotalFinaElf
Philippe ESSIG, ancien Président de la SNCF, Coordinateur du Débat sur les Risques Industriels
Serge GROUARD, Maire d’Orléans
Bertrand PANCHER, Président du Conseil général de la Meuse

Pierre ZEMOR, Conseiller d’Etat, ancien Président de la Commission Nationale du Débat Public
"Un facteur essentiel de la démocratie est le niveau de connaissance et le savoir. Mon expérience de président de l’association Communication publique me fait dire qu’il n’y a pas d’information sans participation ou sans communication. Si la relation ne s’établit pas, on ne sait pas à quoi servent les messages, ni quels sont les messages réellement reçus. Il faut qu’il y ait dialogue pour que le média soit activé et que les messages passent dans une relation établie entre l’institution publique, les décideurs et les citoyens ou les associations qui les représentent.

Par nature, le débat public est très tendu. Il n’a lieu qu’en l’absence de consensus. On a vu l’appétit de concertation confirmé par les sondages, appétit considérable, un peu agressif, revendicatif en raison du manque habituel de considération. Il faut pourtant arriver à faire en sorte que les échanges permettent de s’écouter, qu’il y ait un débat contradictoire et que la passion, l’imagination, l’irrationnel aient droit de cité - il faut le reconnaître. Mais pour trouver un langage collectif et que la société progresse, il faut que tout cela devienne rationnel, que la passion rejoigne la raison dans le dialogue. Or ces moments de concertation ne sont pas des moments de décision (…) Le débat public est de nature un peu différente : c’est un moment de maïeutique sociale, où l’on tend à faire accoucher tous les éléments utiles à une acceptation sociale. Réceptivité, appropriation du problème et acceptation sociale, sont très difficiles à jouer dans un moment court et intense de démocratie participative, car ce moment s’inscrit dans les longs processus de la démocratie représentative. Ce sont des temps de maturation nécessaires car le processus de décision ensuite change et s’accélère.
(…)
Dans chaque concertation, la question posée se précise, le dossier change, des variantes apparaissent et la question n’est heureusement plus la même à l’issue du débat public
(…)
Les processus de décision sont de plus en plus longs et complexes et la démocratie participative peut permettre de les raccourcir par une maturation intense conduite au bon moment."

Serge GROUARD, Maire d’Orléans
"Je suis un fervent partisan de ce que l’on appelle la démocratie locale, de proximité ou de participation. Je souscris globalement au consensus général de cette matinée mais souhaite cibler le débat sur trois éléments qui me semblent importants de préciser :
- Le risque de l’effet d’éviction. Toute concertation, consultation ou débat constitue un enjeu pour les acteurs qui y participent. Il en résulte des logiques d’influence et des logiques de pouvoir par rapport auxquelles existe une tendance logique, naturelle et normale de certains acteurs à chercher à instrumentaliser le débat, à l’accaparer, voire à le monopoliser. Le risque est que le citoyen, qui lui n’est pas organisé et vient participer simplement au débat, se trouve privé de sa capacité d’expression (…)
- La concertation pour la concertation ne sert à rien. La concertation doit s’inscrire dans un processus décisionnel (…)
- On risque de se trouver dans une logique de fracture du temps. Le citoyen, quelle que soit sa forme de participation (d’une salle de réunion à un forum sur Internet), a une logique de temps court et attend donc une réponse dans un temps limité, mesurable, prédéfini. Or tous ceux qui participent à la décision sont confrontés à une logique de temps long car les procédures sont de plus en plus compliquées avec de multiples intervenants et un carcan réglementaire de plus en plus contraignant. Cela nous amène souvent à donner à nos concitoyens le sentiment que nous nous sommes finalement concertés, alors qu’on ne voit rien venir. Ce sentiment de désillusion est la pire des choses, après avoir porté une sorte d’espérance de prise en compte de leurs préoccupations. A mesure que l’on progresse dans cette logique de démocratie participative, l’enjeu majeur est la réforme structurelle de nos modes et procédures de décision. Car si l’on continue dans cet accroissement de complexité, on accroîtra la désillusion de nos concitoyens."
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Conclusion, Nicolas JAQUET, président de la DATAR

"Nous avons de multiples commissions comme les commissions des sites, les groupes de travail ad hoc, ou les comités départementaux d’hygiène. Ces derniers fonctionnent sur le modèle suivant : on commence par préparer un projet d’arrêté préfectoral, on se concerte avec le maire, avec les différents élus, avec un certain nombre d’interlocuteurs représentant les différents intérêts en jeu pour aboutir à un arrêté préfectoral en comité départemental d’hygiène, qui est censé représenter tous ceux qui ont quelque chose à dire. Tout le monde donne un avis favorable à l’unanimité donc le préfet, en confiance, prend un arrêté préfectoral et là, c’est le déchaînement de colère : des tas de gens qui ne se sont jamais exprimés commencent à le faire à l’issue du processus de concertation. C’est un vrai problème, et le rôle des médias est ici majeur en la matière, car les médias vont donner beaucoup d’échos à ceux qui réagissent après la concertation, alors que nous aurions besoin d’une aide au début du processus.
(…)
Le problème des autorités indépendantes : on ne peut aller sans fin dans une logique d’autorité indépendante qui prenne les décisions à la place du politique, sinon nous ne sommes plus en démocratie."
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