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Pour débattre :
Lyon-Turin : Pour ou contre ?
Le projet de liaison ferroviaire transalpine Lyon-Turin est ambitieux : il comporte une section internationale constituée d’un tunnel à grand gabarit de basse altitude, long de 53 km, entre Saint-Jean-de-Maurienne et l’Italie, complétée côté français par un nouvel itinéraire ferroviaire entre Ambérieu-en-Bugey, Lyon et la Maurienne. L’objectif essentiel est de reporter sur le rail une part importante du trafic routier franco-italien : 25 millions de tonnes par an transitent par les tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus et 18 par Vintimille (8 seulement passent sur le rail) ; les trafics Nord-Sud stagnent depuis dix ans mais leur croissance future ne peut être exclue et les trafics Est-Ouest se développent rapidement. Objectif secondaire : faciliter les relations ferroviaires des voyageurs, aujourd’hui déplorables, entre la France et l’Italie.
La voie ferrée dite "historique" Ambérieu-Modane-Italie fait l’objet de travaux importants qui porteront sa capacité de 12 à près de 20 millions de tonnes. Mais elle restera difficile et coûteuse à exploiter, en raison de son tracé sinueux, de son profil (des pentes de 3 %, un tunnel de faîte culminant à 1 300 m), de son gabarit limité, de son environnement (elle longe le lac du Bourget et traverse les agglomérations d’Aix-les-Bains et Chambéry), enfin d’un important trafic régional de voyageurs dont le renforcement est nécessaire.
Le projet Lyon-Turin est donc bien justifié techniquement, car il rend possible un basculement du trafic routier sur le rail comparable à celui du trafic aérien sur le TGV. Sa réalisation peut cependant déboucher sur un double fiasco : un report modal très limité malgré une offre ferroviaire devenue très performante, et un vaste gaspillage d’argent public pénalisant les autres projets ferroviaires, extension du réseau TGV et régénération du réseau classique, dont la moitié est dans un état catastrophique comme l’a confirmé le récent rapport Rivier.
Vu son coût (près de 7 milliards d’euros pour la seule section internationale), le projet n’a en effet de sens que s’il associe une volonté politique forte de transférer massivement le trafic routier sur le rail à un investissement ferroviaire dimensionné en conséquence. Or cette volonté est aujourd’hui absente. L’Etat continue ainsi à pousser les projets d’autoroute A48 Ambérieu-Bourgoin et de rocade autoroutière de Chambéry, qui faciliteraient l’accès des poids lourds au Fréjus. Une politique compatible avec le projet Lyon-Turin suppose au contraire : l’abandon définitif des projets routiers directement concurrents, en accord avec la Convention alpine signée par notre pays ;
un assainissement du trafic routier en luttant contre la fraude (vitesses, charges, temps de conduite des chauffeurs) pratiquée par de nombreux transporteurs ;
enfin l’instauration d’une redevance écologique sur le trafic routier, dont le produit serait affecté au financement du projet ferroviaire, selon le modèle adopté en Suisse il y a déjà douze ans. Cette troisième condition est essentielle : une redevance routière permettrait à la fois de dégager un financement spécifique du Lyon-Turin sans peser sur les possibilités de financement des autres projets ferroviaires, et de le rentabiliser en relevant le prix du transport routier. Seule une politique cohérente, en France comme en Italie, peut assurer le succès économique et environnemental du projet Lyon-Turin. Seule, d’ailleurs, elle est susceptible de convaincre les opposants italiens, dont certaines craintes sont mal fondées - la présence d’amiante et de minerais radioactifs a été bien maîtrisée lors du percement des tunnels ferroviaires suisses du Lötschberg et du Gothard - et qui, en l’absence d’informations objectives sur la nature du projet, ignorent la possibilité de réduire le trafic routier.
Les enjeux locaux et globaux sont pourtant fondamentaux : à la fois de réduire les risques d’accidents et les nuisances devenues insupportables dans les vallées alpines et sur les itinéraires d’accès, de limiter notre dépendance pétrolière et de contribuer à l’objectif fixé par le plan climat, une réduction d’un facteur 4 de nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050.
(Texte publié par Le Monde le 2/08/2006)
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